Being Kachou

Being Kachou

Un canard parmi les signes

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Imaginez-vous, naitre dans une famille de blanc un après-midi enneigé de février. Bah ça, c'est moi ! Née un 13 février, veille de la fête des amoureux, petite fille a la peau blanche, car oui, la mélanine se repartie que quelques jours après la naissance, du coup les bébés noirs ne naissent pas entièrement noirs et les bébés métis naissent blancs. Lors de ma naissance, ma mère aurait pu croire que j'allais être blanche, mais au bout de quelques jours ma peau a légèrement viré au marron. Bien évidemment, elle savait que j'allais être une enfant métisse et que ma peau, mes cheveux et mes yeux allaient être différents des siens. Ma famille ne m'a jamais montré des signes d'une différence physique, j'étais leur fille, petite fille, nièce, le vilain – enfin, je ne suis quand même pas trop mal - petit canard perdu parmi les oies du village.

Je me voyais depuis ma naissance comme une enfant blanche, faisant des activités de petite Bourguignonne. J'allais dans le jura avec mes grands-parents, faisais de la voile avec ma mère, montais à cheval avec des gosses de riche et mangeais des escargots à Noel. Tout se passait bien dans ce monde de rejet et d'ignorance totale. Mais un jour, je me suis aperçue qu'il n'y avait aucune ressemblance avec ma mère, mais ne sachant pas où était la différence, j'ai décidé de l'ignorer et continuer à faire mes trucs de petite blanche Bourguignonne.

Un jour en classe de CP, la maitresse, afin de préparer la fête des pères, nous demande de ramener une photo de nos pères afin de leur confectionner un cadre en macaroni – So kitsch -. N'ayant pas de père – oui ça existe, ma mère est la vierge Marie et Dieu est noir - je me précipite à la maison afin d'élaborer avec ma mère un plan d'attaque qui pourrait me sortir de ce merdier... Ma mère ne voulant pas que sa fille soit montré du doigt et ne participe à cette activité – ludique – part fouiller dans une vieille boite à photo. Après quelques minutes de recherche, elle trouve THE photo, celle qui m'aidera à faire ce magnifique cadre en nouille pas cuite, celle qui ne me fera pas paraitre pour la réincarnation de Jésus, celle qui me permettra d'appliquer mes talents artistiques de menteuse professionnelle. Cette photo est floue, on y voit un homme assis en train d'écrire quelque chose sur un bout de papier, cet homme est gaucher, les cheveux bruns et la peau blanche, cet homme est mon oncle, 23 ans à l'époque et déjà chauve.

Un beau matin ensoleillé de juin 1992, je me rends à l'école avec mon énorme sac à dos, mes baskets sans marques, et ma petite robe de fille studieuse – la mode dans les années 90 était cruelle. J'arrive en classe toute heureuse de pouvoir exprimer mon art créatif culinaire d'enfant de 6 ans.

La maitresse, nous demande de sortir les photos de nos paternelles, du coup moi toute fière, je sors la photo du mensonge prête à sortir mon explication soigneusement élaborée la veille avec ma mère. Passant dans les rangs, la maitresse ne se gêne pas de faire des commentaires sur les pères de ses élevés, comme si elle était célibataire que l'un de nous avait un père divorcé ou veuf, elle était en chasse du mari idéal. « Ton père a des yeux magnifiques », « Il a l'air grand », « Ça se voit que ton père faire du sport », elle n'en pouvait plus et salivait comme une ado pubère sur ces représentations paternelles.

Puis viens mon tour, je la regarde avec un grand sourire sur mon visage, elle saisit la photo qui était soigneusement déposée sur le bord de mon bureau, elle observe ma photo avec un air interrogateur, je sentais qu'une question allait surgir de sa bouche, j'étais mentalement prête à déballer mon mensonge. Et soudain, elle me lance « tu aurais pu prendre une photo un peu plus nette de ton papa Agnès... » À quoi je rétorque « on s'est fait cambrioler il y a 2 ans et les méchants ont pris la plus part de nos photos, malheureusement, c'est la seule qu'ils ont laissé » le piège est fermé. Dans ma tête, je savais que mentir n'était pas une bonne chose, mais là, je l'ai pris comme un cours d'improvisation, je devais réagir à une situation de manière vive et réaliste, j'étais fière de mon exploit, je sentais que l'oscar était proche et que ma carrière d'actrice connaissait des débuts prometteurs ! Mais, la maitresse maintenait la photo fermement et l'observa de plus près, elle fronce les sourcils, comme pour mieux voir, et de là, elle me sort, avec un air convaincu « mais ce n'est pas ton père ? » , je devais réagir vite et bien, je me remémore les différentes réponses possibles le plus rapidement possible sans laisser transparaitre un seul soupçon de stress. Je lui lance « mais si, si c'est bien mon père, on ne voit pas trop bien, mais c'est lui », mais l'impensable se produisit, comme une vilaine sorcière sans cœur, ma maitresse poursuivie devant mes camarades avec un « la personne sur la photo est blanche, il me semblait que ta mère était blanche ». Mon visage se décomposa en une fraction de seconde, je ne savais pas quoi penser ni quoi dire, j'étais démasquée, mon mensonge était percé à jour, ma maitresse avait découvert la supercherie, elle savait que cet homme chauve n'était pas mon père, mais je ne saisissais pas comment elle avait su que tout cela n'était qu'une vaste mascarade. Je ne comprenais pourquoi elle avait fait référence au fait que mon père ne pouvait pas être blanc.

Tout en m'interrogeant, je commence ma création artistique, je m'applique consciencieusement à coller les pâtes sur mon cadre en carton. Comme je suis une artiste née, j'atoute de la couleur aux pâtes. Mon chef d'œuvre est enfin fini, mon ouvrage est digne d'un Rodin, c'était ma quintessence. Je mets la touche finale, la photo et là, le cadre est complément finit.

À la fin des cours, je ramène ma quintessence dans mon cartable, qui était toujours aussi gros, je la dispose sur l'un des meubles du salon, un gros buffet en bois massif de l'époque Napoléon premier. Ma mère rentre du travail, et voit mon cadre trônant fièrement sur le buffet, j'avais vu dans ces yeux que ma croute lui plaisait. Ces pâtes si bien disposées, ces couleurs si belles, en gros le plus beau des cadres en coquillettes jamais vu.

Après son examen, non approfondi, de mon chef d'œuvre, elle m'interroge sur notre tromperie « Alors comment ça s'est passé avec la maitresse ? » , je ne savais pas quoi lui dire, je ne voulais pas qu'elle soit déçue de moi, mais je décide quand même de lui dire la vérité, toute penaude, je lui réponds « La maitresse à découvert que ce n'était pas mon père... » , ma mère étant assez surprise, me lança un regard suspect accompagné d'un petit mouvement de tête interrogatif. « Comment ça, ta maitresse à découvert que ce n'était pas ton père ? On ne voit même pas son visage, on aperçoit son crâne et une partie de son bras gauche. ». Je ne savais pas quoi répondre, car elle utilisait un ton rhétorique, mais aussi, car je n'avais pas de réponse concrète à lui donner. Je lui indique que ma maitresse m'a dit que la personne sur la photo ne pouvait pas être mon père, car la personne était blanche. Et comme si ma mère avait préparé son coup, comme si elle savait que la maitresse allait remettre en cause la véracité de mes propos, ma chère maternelle me questionne avec un « comprends-tu pourquoi elle t'a dit ça ? », moi étant ignorante et ayant rejeté toute forme de différence entre les Hommes avec un grand H, je ne voyais pas où elle voulait en venir, je n'avais que 6 ans et ce jour de juin 1992 j'ai découvert que les Hommes naissaient diffèrent en genre, mais aussi en couleur.

Avant cela, je ne m'étais jamais vue comme une personne noire, j'ai grandi dans une famille de blancs, qui ne m'a jamais pointé du doigt le fait que j'étais différente en terme de couleur de peau, car ma famille aussi folle qu'elle puisse être, ne voyait aucune dissemblance.

16 ans plus tard, je garde mes cousins germains chez moi, on joue et discute de choses très profondes pour des enfants de 6 ans : les copains, la télé, les frites, enfin plein de choses qui pour un adulte ne font aucune logique, mais qui pour une gosse de 6 ans sont très terre-à-terre. Au beau milieu de notre discussion très haletante, l'un d'eux me dit « est-ce que tu savais que les Africains faisaient pipi par les fesses et caca par le zétète ? » Ni une ni deux, je lui demande de répéter pour savoir si j'avais bien entendu ce que je venais d'entendre. Il me répète mots pour mots la même chose, je lui pose alors la question suivante « ça voudrait dire que je fais pipi par les fesses et caca par le zétète... » , à l'écoute de ma question mes deux cousins se fendent la poire et en tandem me disent « bah non, t'es pas noire, toi ! ». Je leur explique de manière assez enfantine que mon père est Africain et que de ce fait j'ai pris un peu de sa couleur de peau, ils n'avaient jamais vue la différence, ils me voyaient comme leur cousine, leur grande sœur, fille de leur tante, nièce de leur père, petite fille de leur grands-parents, mais pas comme un petit canard qui nageait au milieu des signes blancs...



24/10/2014
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